Une bio à n’en plus finir

« Je commence aujourd’hui une biographie linéaire que je ne sais ni quand ni comment je la finirai, si jamais je la finis. Je ne sais non plus à quel rythme j’y travaillerai. Je suis vieux, j’ai moins d’énergie que j’en avais et je viens de m’acheter un vélo à assistance électrique, une sorte de pacemaker, ça maintient la cadence, un stimulateur de pédalier. »

26 août 2024

Je suis né à la mi-décembre 1944.

Trois cent cinquante jours par an, j’ai donc un an de moins que vous ne le pensez puisque c’est l’année que vous avez retenue et c’est sur elle, et elle seule, que vous comptez pour calculer mon âge. Au moment où je commence cette bio, j’ai 79 ans alors que vous m’en donnez 80. Lonlalonlère. Au moment où vous lisez…

Je suis né au-dessus du Ritz ou de ce qui allait le devenir. On ne m’a pas précisé. C’est moi qui le dis. C’est moi qui le crois. Je suis né au-dessus du Ritz à Grand’Mère P.Q., sur la rue principale. En 1944, elle s’appelait, cette rue commerciale, la rue Sainte-Catherine. Dans les années 1950, on s’est modernisé, on a rationalisé, on a remplacé les noms par des numéros. La Sainte-Catherine est alors devenue la 6e avenue. Aujourd’hui que Grand’Mère n’est plus une ville, qu’elle est devenue un secteur de Shawinigan et qu’elle n’arbore plus depuis longtemps l’anachronique apostrophe, elle s’appelle l’avenue Grand-Mère.

Le Ritz, c’était un restaurant. L’emplacement est aujourd’hui inoccupé. Et depuis longtemps. C’est un local vide comme il y en a beaucoup, des bocaux et des locaux vides sur la rue principale. Et de moins en moins de têtes pleines.

Mon enfance, quand on la regarde de face, depuis la 6e avenue, c’est sur la droite, entre le Ritz et le magasin de fruits de madame Saint-Pierre, et de son fils musicien roselet, une allée suffisamment large pour accommoder deux autos. Il y en a deux, l’une derrière l’autre dans la partie droite de l’allée. Ce sont deux voitures taxi. La partie gauche est laissée libre pour permettre à d’autres voitures taxi d’aller ou de revenir du fond la cour où elles sont garées devant le stand où flânent les chauffeurs en attendant que ce soit l’heure de l’arrivée du prochain train du C.P. en provenance de Shawinigan ou de Trois-Rivières ou celui du C.N. en provenance de Montréal et à destination de Senneterre ou de Chicoutimi, en attendant un appel qui sera pris par la maîtresse du patron avec laquelle il faut filer doux si l’on veut se faire refiler les meilleurs clients, les réguliers qui paient bien, en attendant que si libère une des deux places en avant, du côté droit de l’allée quand on regarde depuis la rue. Un des chauffeurs est allongé sur un divan miteux, élimé, couvert de taches. Il ronfle. Un autre mange des pinottes en sac, à 5 cennes. Un autre boit un cola 6 onces en reluquant la téléphoniste sans qu’il n’y paraisse. Le patron n’est jamais loin. Il y a dans la cour, à côté du stand, le grand jardin de madame Houle, qui n’est pas la marchande, mais sa locataire. Elle occupe un petit logement derrière le magasin de fruits. Il y a dans son jardin des patates, des carottes, des concombres, des tomates et des grandes rhubarbes. Les rhubarbes étaient toujours grandes en ce temps-là. Mais qu’on ne s’y trompe pas. En décembre, même et surtout en décembre de ce temps-là, il n’y avait plus rien dans le jardin. Tout était dans le caveau. Mais je ne savais encore rien de toutes ces choses. Je n’étais pas né et, par voie de conséquence, je ne savais pas marcher. Je l’aurais su que je n’aurais pas su retrouver mon chemin dans tout ce monde trop grand pour moi.

Si l’on fait marche arrière. Si l’on revient dans la rue devant chez moi tout en étant prudent pour ne pas se faire frapper par une auto, lesquelles sont énormément plus nombreuses que les chevaux. De ceux-là, il ne reste que les bêtes de monsieur Blais, le charretier de la 7e avenue, celles des laitiers et des boulangers, celles aussi du marchand de glace et du marchand de charbon. Et le vieux piton qui tire le petit chariot de Stanley Lafrenière qui brosse et balaie les caniveaux OUPS! JE SUIS RENDU ICI. C’EST AINSI QUAND ON REGARDE PAR DERRIÈRE LA TÊTE DE CELUI QUI ÉCRIT. Il y a sur la rue principale des autos, surtout des autos, elles appartiennent toutes ou presque à des notables, professionnels ou commerçants. Il y a aussi des camionnettes, comme celle du quincailler, et des camions dont celui de Fred Desroches de la 7e avenue.

À suivre